Le vendredi 18 juin 2025 à 15h02 par Stéphane Gély
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Négocier en tant qu’élus de CSE avec les techniques de l’Université d’Harvard
En tant qu’élus de CSE, vous êtes souvent amenés à négocier avec votre employeur. Epargne salariale, salaires, primes, conditions de travail… Autant de matières à négociation. Mais la négociation ne s’improvise pas, surtout si votre direction la maitrise. Dans cet article, nous vous donnons des clés pour négocier efficacement.
1. Négocier avec les outils du Program Of Negotiation d’Harvard University
Ce programme a proprement révolutionné les pratiques de négociation. Son idée centrale est d’arrêter de couper la poire en deux. A l’inverse, il prévoit des solutions plus créatives pour envisager une issue satisfaisante pour tous.
Séparer les personnes du problème
Dans une négociation comme dans un conflit, on fait vite l’amalgame entre la personne et l’enjeu ou le problème. Dans ce contexte, il est impossible de trouver un accord. Cela favorise la défiance, la division. Considérer son patron ou son est donc une clé essentielle pour trouver une issue.
Différencier positions et intérêts
Basiquement, la position, c’est ce que nous dit la personne qu’elle désire. C’est en général superficiel et ne traduit pas les motivations, valeurs ou incitations sous-jacentes.
Tandis que les intérêts sont les raisons, les valeurs ou les motivations sous-jacentes d’une partie. Ils expliquent pourquoi une personne adopte une certaine position.
Par exemple, la position d’un conseiller syndical est que les salaires augmentent de 10%. Tandis que l’intérêt est que le pouvoir d’achat des salariés augmente de 10%.
Vous l’aurez compris, si je comprends mon propre intérêt et celui de l’autre partie, je peux proposer des alternatives. Et au lieu de salaire, je peux proposer par exemple une prime de partage de la valeur. Cela permet à mon employeur d’économiser des charges, tout en assurant une hausse de rémunération.
Focaliser sur les intérêts mutuels
Un des enjeux d’une négociation réussie est de sortir de sa propre carte du monde. Je m’explique. Si je reste dans ma propre vision, je ne pourrais pas comprendre les intérêts de l’autre. Et du coup, je ne pourrais pas m’appuyer dessus pour négocier. C’est dommage, car les meilleures négociations sont souvent faites de compromis.
Trouver des alternatives
En fait, négocier, c’est un peu comme jouer aux échecs. Il est très important d’avoir un coup d’avance. Et quoi de mieux que des options si la négociation principale ne fonctionnait pas. Imaginons une négociation sur des primes de fin d’année. Une alternative pourrait être la mise en place d’une prime de partage de la valeur de 2.000 euros par salarié.
Comme précédemment, elle permettrait à l’employeur de faire des économies de charges. Et les salariés auraient un pouvoir d’achat supérieur.
Cette alternative est nommée par Harvard la MESORE en Français. Cela signifie la meilleure solution de Repli, ou en anglais BATNA. Il s’agit donc du meilleur plan B possible.
Et les bons négociateurs sont connus pour avoir un plan B, C, D…
Cette méthode est donc intéressante, car elle permet de sortir du cadre. Et par conséquent, elle favorise une vision plus large et elle évite les compromis défavorables pour tous.
Dans mon exemple précédent, un mauvais compromis serait 750 euros par salarié au lieu de 2.000 euros. Ce serait évidemment défavorable au salarié en termes de pouvoir d’achat. Mais aussi à l’employeur qui aurait des charges à payer.
S’appuyer sur des critères objectifs
Il n’y a rien de pire que les interprétations et les jugements. Pour éviter cela, s’appuyer sur les faits est essentiel. Supposons que vous négociez pour un nouvel équipement de sécurité. Pour convaincre votre direction, vous pouvez vous baser sur les statistiques d’accident dans l’entreprise. Cela peut être également des évolutions pour prendre conscience.
Cette méthode va avoir pour effet d’éviter un certain nombre de tensions. En effet, elle évite les questions de personnes, les interprétations… Elle sa base sur des faits pour structurer le dialogue et favoriser des accords durables.
Bref, elle permet de construire plutôt que de s’opposer.
Identifier la Zone d’accord possible
La ZOPA (zone of potential agreement) désigne la zone d’accord possible. Prenons un exemple. Le CSE souhaite une augmentation salariale de 500 euros. Et l’employeur envisage de son côté 250 euros. La Zone d’accord possible est donc comprise entre 250 et 500 €.
L’idée est d’évaluer les limites et les marges de manœuvre de l’autre partie. Un négociateur avisé posera des questions afin de connaitre les intérêts de l’autre partie.
2. Préparer minutieusement la négociation
Une négociation efficace ne repose pas sur l’improvisation. Elle se prépare de manière très minutieuse.
Clarifier les intérêts fondamentaux
Avant de négocier, identifiez ce que vous cherchez vraiment à obtenir. Distinguez les positions (ce que vous demandez) des intérêts (ce qui motive votre demande).
Posez-vous la question : qu’est-ce que je souhaite vraiment obtenir de cette négociation ?
Tenter d’anticiper les intérêts de l’autre partie
Se mettre dans les souliers de l’autre. Voici une posture qui fonctionne très bien en négociation. Pour cela, imaginez quels sont leurs objectifs, contraintes, enjeux internes.
En tant qu’élus CSE, vous avez accès aux comptes de l’entreprise. Vous pouvez donc vous préparer efficacement aux aspects financiers. D’anciens compte-rendu de réunions peuvent également vous aider à évaluer la position et les intérêts de l’autre.
Bref, cette empathie stratégique vous rendra plus solide. Tel le stratège en échec, vous anticiperez les possibilités. Et c’est la clé du compromis intelligent.
Définir votre BATNA
Le plan B ou le BATNA (MESORE en Français) sont essentiels à définir. Si aucun accord n’est trouvé, quelle est la solution de repli ?
Une BATNA solide vous donne de la confiance, et vous rend solide dans la négociation.
C’est l’antidote à des compromis trop rapide ou à des décisions précipitées.
Identifier la ZOPA
Délimitez la zone où un accord est possible. En d’autres termes, définissez vos minima et vos maxima. Si vous avez suffisamment d’éléments, tentez d’évaluer les maxima de votre direction.
Cela vous permettra d’évaluer les marges de manœuvre, et donc de négociation
Choisir les bons critères objectifs
Basez vos demandes sur des standards reconnus : pratiques du secteur, jurisprudence, ratios économiques, données comparables. Cela renforce la légitimité de vos positions.
3. Types de négociations pour un élu de CSE
Il existe différents types de négociations pour les élus de CSE, dont certains sont à privilégier.
Win-Win (Gagnant-Gagnant)
Beaucoup d’humoristes ont parodié la méthode appelée Win-Win Negociation. Cette méthode consiste à trouver une issue satisfaisante pour toutes les parties.
Cette méthode est considérée par certain comme béni oui-oui. Pourtant, elle est indispensable pour appliquer efficacement la méthode PON.
En effet, dans ce type de négociation, chacun obtient satisfaction. Cette satisfaction peut être partielle, comme le fruit d’un compromis, plus ou moins heureux. Mais une satisfaction mutuelle peut être trouvée grâce à de la créativité. C’est le cas lorsqu’on privilégie la coopération et même la co-construction.
Win-Lose (Gagnant-Perdant)
Dans ce type de négociation, tout est question de rapport de force. Un acteur impose ses conditions à l’autre. Et soit l’autre refuse les conditions et la négociation échoue. Soit il cède au détriment de ses propres intérêts.
C’était le cas dans les relations sociales au 19ème siècle. Les revendications étaient soit repoussées par la force, soit par de très petites avancées.
Ce type de négociation est souvent brutale et dans tous les cas déséquilibrée. Et des politiciens autocratiques sont souvent dans ce type de postures.
Pour moi, ce type de négociation n’entraine pas de gagnant. En effet, à long termes, elle laisse des traces, s’accompagne de frustrations. Et elle compromet les relations futures.
Lose-Win (Perdant-Gagnant)
Les élus du CSE ne savent pas valoir leur droit et ils abandonnent trop vite..
Par exemple, dans une entreprise, le CSE accepte une baisse de primes, sans avoir étudié les comptes.
C’est une posture d’évitement, souvent causées par la peur du conflit ou un manque de préparation.
Lose-Lose (Perdant-Perdant)
Aucun accord ne peut être trouvé car chacun campe sur ses positions. Du coup, le dialogue et rompu et le ressentiment laisse la place à la négociation. Par exemple, l’entreprise peut bénéficier de subventions. Mais l’opposition exacerbée entre le DRH et le CSE font que l’entreprise est disqualifiée.
C’est le scénario à éviter à tout prix, car il détruit la confiance et affaiblit la crédibilité de tous.
4. Sortir des sentiers battus
Dans une négociation, nous avons vu que toutes les parties doivent trouver satisfaction. Cela signifie que personne ne doit avoir le sentiment de perdre.
Mais cela suppose une chose : sortir du cadre, ouvrir le champ des possibles, inventer des pistes inédites.
Du coup, il existe plusieurs outils permettant de sortir des sentiers battus.
Voici six techniques de créativité puissantes pour concevoir des accords originaux et équilibrés.
Le brainstorming
Il génère un maximum d’idées sans jugement, en un temps limité.
Appliqué à une réunion CSE, cela suppose de réunir les parties prenantes (en physique ou en visio). En de se poser collectivement une question ouverte de ce type : “Comment satisfaire nos deux objectifs principaux en même temps ?”
Ne vous censurez pas et notez toutes les idées, même les plus farfelues. Pius triez et reformulez ensuite.
Le brainstorming ouvre des perspectives cachées. Et met tout le monde dans une posture de contribution.
Les six chapeaux de Bono
L’idée est d’aborder un problème sous six perspectives différentes, selon la couleur des chapeaux.
- Blanc : aborder la/les décision(s) à prendre sous l’angle des faits, des données
- Rouge : aborder la/les décision(s) à prendre à travers les émotions, les intuitions…
- Noir : envisagez les risques et les objections
- Jaune : les bénéfices de la/les décision(s
- Vert : toutes les alternatives à cette/ces décisions
- Bleu : la synthèse de toutes les autres avec une idée/décision
Utiliser ces rôles permet de penser plus large et d’éviter les biais individuels. C’est un outil puissant pour équilibrer logique, émotion et innovation.
La technique Walt Disney
C’est un moyen pour tester l’idée retenue sous 3 perspectives :
- Le rêveur : imagine la décision/idée sans contrainte, cherche l’idéal (semblable au brainstorming)
- Le critique : identifie les failles, les limites, de manière constructive pour éviter les écueils
- Le réalisateur : définit le plan d’actions et les prochaines étapes au projet.
C’est un moyen de trouver des solutions créatives et applicables en les passant sous le crible des 3 filtres.
La technique des contraires
Quel serait l’inverse de ce que l’on cherche. Se poser des questions de ce type permet de trouver des
- Si cet accord n’aboutissait pas, que ce passerait-il ? Pour les salariés, le CSE, l’entreprise…
- Si je voulais aggraver la situation, quelles décisions prendrais-je ?
En analysant les extrêmes, on affine les lignes de compromis. On clarifie ce qu’on veut éviter, et donc, ce qu’on veut vraiment.
La carte mentale (mind mapping)
Les cartes heuristiques permettent de structurer les idées en réseau autour d’un thème central.
La carte mentale permet une vue d’ensemble dynamique. Elle fait émerger des connexions invisibles dans une discussion linéaire. C’est un outil redoutable pour dégager des solutions complexes.
Se former à la négociation d’entreprise
Un élu CSE peut-il être formé à la négociation ?
Oui, des formations spécifiques existent et sont finançables dans le cadre du budget du CSE ou par l’OPCO pour les entreprises de moins de 50 salariés.
Quelle est la différence entre position et intérêt ?
La position est ce qu’on demande. L’intérêt, c’est pourquoi on le demande.
Comment savoir si un accord est bon ?
S’il parvient à satisfaire les deux parties.